Marché du travail complexe, taux de chômage élevé des jeunes, hausse de la précarité chez les moins de 25 ans… Les parents ont peur pour l’avenir de leurs enfants. Une peur qui décuple leurs attentes vis-à-vis de l’institution scolaire désormais considérée comme une véritable prestation. Témoignages et décryptage de ce phénomène de consumérisme éducatif qui prend de l’ampleur au fil des années.
D’après un sondage réalisé par Kantar en 2020, ils sont 86% à affirmer, que l’avenir et la réussite scolaire de leur(s) enfant(s) sont une source d’inquiétude. Parmi eux, 37% estiment même que cela les préoccupe beaucoup. Ces angoisses rendent les parents d’autant plus exigeants quant à l’école de leurs enfants. Cette tendance est décriée depuis plusieurs années par les spécialistes de l’éducation comme Philippe Meirieu qui rappelle que l’école n’est pas un service mais une institution et n’a donc pas à s’adapter aux desideratas des parents. Un constat partagé également par la communauté éducative sur le terrain. « Depuis une vingtaine d’années, la pression sociale des parents est telle que le rapport est plus tendu entre les parents et les établissements scolaires. Résultat, l'école est rentrée dans une forme de clientélisme », constate Bruno Roche, professeur de philosophie et directeur-fondateur du Collège Supérieur à Lyon. « Les établissements scolaires eux-mêmes ont désormais tendance à considérer les parents comme des clients qu'il ne faut pas décevoir. Alors, évidemment, vous rentrez dans un processus qui modifie à la fois les relations et les règles du jeu », ajoute-t-il.
Une course à la réussite scolaire
« Ce n’est pas le seul critère, mais pour choisir l’école de leurs enfants, les parents jugent les résultats aux examens, que ce soit brevet, bac, post-bac. Et comme on a de bons résultats, c'est sûr que c’est plus facile », partage Christian Bourbouze, chef d’établissement de l'École Notre-Dame Des Anges, à Lyon. Dès l’entrée en maternelle, les parents ont à cœur la réussite scolaire de leurs enfants et développent des stratégies consistant à éviter certains établissements au profit d’autres pour leur donner toutes les chances de poursuivre des études jusqu’au plus haut niveau du supérieur. Pourquoi ? Car on a laissé s’installer une école à plusieurs vitesses. « Il n’y a plus rien à voir aujourd’hui entre un collège de centre-ville et un collège de banlieue; et au nom de la décentralisation et du respect de l’autonomie des collectivités territoriales, on laisse s’installer des écarts entre les écoles primaires. », estimait déjà Philippe Meirieu dans les années 1990.
En recherchant l’intérêt de leurs enfants, les parents adoptent des attitudes qui utilisent l’école de façon à leur offrir la voie royale vers le marché de l’emploi. « Mon école fait partie d’un groupe scolaire qui va de la maternelle jusqu’au post-bac. Lors d’un rendez-vous d’inscription en petite section de maternelle, des parents me regardent droit dans les yeux et me disent : Tout nous convient dans votre école. Vous nous signez un document sur le fait que vous prenez notre enfant et que vous nous le rendez ingénieur ? J'ai répondu : C'est une boutade ? Tous les parents veulent que leur enfant réussisse, mais je ne peux pas vous signer de service après-vente. Je crois que je les ai profondément blessés », raconte Christian Bourbouze. Au-delà de l’école, les parents investissent de plus en plus dans des cours particuliers pour donner toutes les chances à leurs enfants : aujourd’hui, un lycéen sur trois et un collégien sur cinq suivent des cours de soutien scolaire. La moyenne est de 40 heures par an et par enfant, pour un budget total moyen de 1 500 euros annuels par famille avant déduction fiscale.
Un changement de rapport avec les parents
« Nous sommes rentrés dans un univers d'échanges marchands et les parents tiennent désormais ce discours : dans le public, vous êtes payé pour ça, ou dans le privé, nous payons pour ça. Donc nous sommes en droit d'exiger un certain nombre de prestations en retour », affirme Bruno Roche. La notation en contrôle continu a renforcé ce rapport de force entre parents et professeurs. Quel professeur de classe de terminale n’a pas eu une demande de rendez-vous avec un parent d’élève suite à une mauvaise note à un contrôle ou un devoir sur table ? « Tout transite maintenant par parcoursup. Une note qui pouvait être relativisée dans le système de sélection classique, désormais, elle est absolutisée. Et les parents vont s’en faire une montagne », raconte Bruno Roche, avant d’ajouter : « C'est compliqué parce que quand vous avez en face de vous, non pas un parent d'élève, mais un client qui revendique des prérogatives, qui considère que vous êtes en train de réduire les chances de son enfant ou de les contrarier sévèrement, on est tout de suite sur un registre psychologique. Avant, on pouvait parler de niveau, donc d'éléments plus objectifs, mais là, on est immédiatement versé dans l'inquiétude de l’avenir. »
Des attitudes de consommation aggravées par la Covid-19
Lors des confinements, les professeurs ont partagé leurs emails et leurs numéros de téléphone personnels pour transmettre plus facilement les informations aux élèves. Le contexte était particulier. Mais, aujourd’hui, les parents d'élèves ont pris l’habitude de solliciter en direct les professeurs pour tout sujet. « Les parents nous envoient un mail à 20h et le lendemain matin, ils nous disent : je vous ai envoyé un mail, vous ne l'avez pas vu ? Ils aimeraient continuer ce mode de fonctionnement qui s’était établi pendant le confinement. Par exemple, quand les enfants sont malades, avant, on faisait passer les devoirs à un copain, ou le parent venait le lendemain récupérer le travail. Là, les parents veulent recevoir les éléments par e-mail dans la journée. Et quand on leur explique que ça va faire prendre du temps à l'enseignant en plus de sa journée de travail, ils ne veulent pas comprendre. Ils sont globalement devenus plus exigeants et consommateurs. Ils voudraient que ça se passe comme ils veulent », témoigne Florence Comte, directrice de l’école élémentaire de Puget Ville et Secrétaire du Syndicat des directrices et des directeurs d’école (S2Dé).
Les établissements privés en première ligne
Cette réalité est exacerbée dans les établissements privés pour lesquels les parents paient des frais de scolarité : « Lorsqu’ils font le choix de l'enseignement privé, ce que les parents paient, c'est un petit supplément d'âme. Aujourd’hui, ce petit supplément d'âme ne leur est plus suffisant. La société est tellement complexe. Les parents sont dans une telle anxiété face à l'avenir qu'ils demandent énormément à l’école comme à leurs enfants », témoigne Christian Bourbouze. « Les parents me disent : on paye, on a droit au meilleur. Maintenant, c'est comme ça, c'est un slogan, mais ça ne veut rien dire. C'est une exigence qu'ils demandent à l'école. On surdimensionne le pouvoir de l'école. Mais le meilleur, qu'est-ce que c'est ? Ça veut dire quoi ? Ça veut dire des études longues ? Ça veut dire des bonnes notes ? Ça veut dire avoir beaucoup de copains ? Des parents viennent me trouver parce que leurs enfants ne sont jamais invités aux anniversaires. Qu'est-ce que je peux faire ? », poursuit-il. Un défi quotidien pour les chefs d’établissements qui restent attachés à leur vocation pédagogique. Chers parents, faites confiance aux professeurs et chefs d’établissements ! Eux aussi souhaitent le meilleur pour vos enfants !
Etablissements privés d'enseignement