Bienveillance ou fermeté

Bienveillance ou fermeté ? Le grand dilemme de l'école contemporaine

Publié le : 27/02/23
Temps de lecture : 3 min
  • En termes d’éducation, opposer la fermeté à la bienveillance, c’est faire fausse route. Aujourd’hui, l’école jongle avec ces deux concepts pour amener les élèves à vivre ensemble et à évoluer dans un environnement propice à l’apprentissage.  Fini le temps du bonnet d’âne et des humiliations à l’école.

    Une circulaire de l’Education nationale du 6 juin 1991 interdit d’ailleurs tout châtiment corporel. Mais, aujourd’hui, si les parents sont en attente d’une école qui éduque leurs enfants et leur transmette des règles de savoir-vivre, ils n’hésitent pas à contredire régulièrement les méthodes et pédagogies du corps enseignant. Une ambivalence difficile à suivre pour les professeurs et chefs d’établissement.  

    Conjuguer bienveillance, fermeté et justice

    “La bienveillance est de l’ordre de la connexion, du lien à l’autre, de la compréhension du monde dans lequel évolue l’autre. Tandis que la fermeté offre un cadre, une sécurité, une lisibilité et la prise en compte du monde réel. Il faut marier ces deux aptitudes. Les mettre au service l’une de l’autre”, apprécie Rozenn Le Roux-Mion, formatrice en Discipline Positive et consultante en management. Loin d’être répressive, l’autorité pourrait s’exercer avec bienveillance. Il ne s’agit pas de casser la personnalité de l’enfant, mais de l’éduquer. “Il est évident qu'il faut fuir les extrêmes. Il faut être dans le juste milieu, dans la bonne dose, la juste proportion”, confirme Christian Bourbouze, chef d’établissement de l'École Notre-Dame Des Anges, à Lyon.

    Pour bien grandir, il est indispensable de poser des limites saines aux enfants et de leur expliquer l’utilité des règles qu’on leur impose. Ces repères doivent être posés avec fermeté, tout en s’ancrant dans le soutien, l’aide et l’écoute des enfants. Pour leur construction psychique, ceux-ci ont besoin que leurs parents tout comme leurs professeurs leur transmettent des règles claires de la vie en société. Ils les accompagnent vers un comportement respectueux des autres :  on ne frappe pas son camarade de classe, on ne se moque pas de lui, on ne lui coupe pas la parole... “Finalement, c’est apprendre le bien commun et comprendre qu’on a des droits et des devoirs. L’école est un lieu de vie sociale où on se prépare à devenir les citoyens de demain”, considère Christian Bourbouze.

    Pour Bruno Roche, professeur de philosophie et directeur du Collège Supérieur à Lyon, “le sentiment d’équité et de justice doit être le fondement de la relation qui se noue entre les élèves et leur professeur. C’est une base indispensable pour travailler avec eux, les faire progresser et élargir leur espace mental. Je préfère la notion de justice à une espèce de fausse bienveillance liquide qui a tout d’un sirop de cyanure. La bienveillance, c’est vraiment une déclaration de principe qui ne conduit pas à grand-chose. ” 

    Offrir un cadre clair que certains enfants n’ont pas à la maison

    “En tant que professeurs ou directeurs d’école, il faut qu’on représente ce cadre, avec fermeté et bienveillance. Certains enfants n’ont pas un tel cadre à la maison. L’école sera donc pour eux le principal lieu d’apprentissage des règles de vie en communauté ”, avance Florence Comte, directrice de l’école élémentaire de Puget Ville et Secrétaire du Syndicat des directrices et des directeurs d’école (S2Dé). Parents stressés, pressés, fatigués… 71% d’entre eux estiment qu’ils manquent d’autorité et pour 66% qu’ils entretiennent une relation trop “axée copain” avec leurs enfants.  

    Pas étonnant que l’école se retrouve aujourd’hui à jouer un rôle d’éducation au-delà de celui de l’instruction.  Un constat que relève Claude Halmos, psychanalyste : “Les enfants, autrefois, venaient consulter avec des problèmes provenant des relations familiales, de l’histoire parentale. Aujourd’hui, c’est l’absence de repères et de limites qui, le plus souvent, les empêche de se développer normalement”. Faire équipe avec les parents est essentiel comme le rappelle Bruno Roche : “L'éducation, c'est avant tout le rôle des parents. En tant que professeurs, nous poursuivons cet objectif au travers de l'enseignement, c'est-à-dire de savoirs et compétences que nous cherchons à transmettre aux élèves. Donc, cela reste extrêmement modeste. Nous avons vraiment besoin du cadre éducatif proposé par les parents pour rendre possible notre mission d'enseignement.”  L’équipe enseignante doit donc être soutenue par les parents.

    Mais d’un autre côté, les professeurs doivent dialoguer avec les parents pour mieux comprendre leurs élèves et leurs éventuelles difficultés. “En France, structurellement, les parents et les professeurs ne sont pas du même bord. Dans le monde anglo-saxon, on parle d’associations “parents-professeurs”. En France, c'est l'association des parents d’élèves, avec la perception d’être de l'autre côté de la barrière. Nous nous privons d'un atout considérable pour vivre une véritable alliance éducative ”, estime Rozenn Le Roux-Mion. 

    La sanction n’est pas une fin en soi 

    La sanction n’est pas une fin en soi

    Punitions, mesures de prévention, sanctions… Lorsqu'un élève ne respecte pas ses obligations, plusieurs dispositions peuvent être prises pour les lui rappeler. L’idée n’est pas de “faire payer” pour quelque chose qu’il a commis : il s’agit de permettre une prise de conscience chez l’élève qui a outrepassé les règles de l’école. Il sera alors mieux équipé pour les respecter à l’avenir. La punition classique - par exemple, rater un cours si on arrive en retard - ne fonctionne que chez les enfants consciencieux et passionnés par l’école ou ceux terrorisés à l’idée de se faire reprendre. Elle n’aide pas les élèves qui décrochent pour lesquels d’autres approches peuvent être privilégiées pour développer leur capacité à gérer leurs émotions, leur empathie ou leur confiance en soi. Pour ces derniers, une punition peut même s’avérer être le pire des remèdes car, incomprise, elle va développer le sentiment d’injustice et annihiler toute motivation.

    Alors comment s’y prendre pour rappeler à l’ordre un élève qui a fait un écart de conduite ? La punition doit être en rapport direct avec la faute commise, ne doit pas placer l’enfant dans une situation humiliante et rester raisonnable. Enfin, la punition doit permettre d’aider l’élève à s’améliorer demain. “La sanction peut être vécue comme un enrichissement par l’enfant. Il prend conscience de son attitude. Et c’est un retour rassurant à la règle ”, résume Christian Bourbouze. Au-delà des sanctions, peut-être faut-il également s’enquérir des causes des comportements inadaptés pour mieux confronter les élèves. " Nous constatons une fatigue généralisée des élèves du fait de leurs rythmes de vie et de leurs consommations d’écran. Nous avons de plus en plus d’élèves qui se couchent sur leur bureau, assistent à un cours les yeux fermés. Et je ne caricature absolument pas. Si bien qu’il y a vraiment un agrément à avoir entre l’enseignant et ses élèves, en expliquant que cette conduite n’est pas collectivement acceptable", témoigne Bruno Roche.  

    Pour le corps enseignant comme les directeurs d’établissement, il s’agit donc de faire du sur-mesure en mobilisant écoute et créativité afin de répondre aux différentes situations rencontrées. “Dans notre quotidien, nous sommes autant assistants sociaux, psychologues que pédagogues”, confirme Christian Bourbouze. Mais, endosser ces trois rôles est-il vraiment réaliste dans l’organisation actuelle de l’école ? Est-ce que cela n’appelle pas à plus de ressources pour les écoles ? Encore un autre débat.  

     

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