Pour cartographier les usages dans une organisation, Sodexo Entreprises avance en parallèle sur deux fronts : le recueil du ressenti des collaborateurs et l’analyse de données factuelles. Cette double approche, à la fois qualitative et quantitative, est essentielle pour comprendre exactement ce qui se passe sur site. Le point sur la question avec Noel Kerjean, directeur UX & design, et Justin Parchantour, directeur data science chez Sodexo.
Pouvez-vous décrire vos rôles respectifs ?
Noel Kerjean : On rapproche souvent mon métier de l’ethnographie, qui est la science des comportements humains. Au travers d’observations et d’interviews ciblées, je cherche à comprendre les usages, à capter les besoins du terrain, à identifier les problèmes à résoudre. Ensuite, je créé des fiches persona (des profils « clés » des collaborateurs du site) puis mène avec les clients des ateliers de co-création pour qu’ensemble, nous fassions émerger des solutions.
Justin Parchantour : Le travail du data analyst, c’est de transformer les chiffres en histoires. Il s’agit donc de recueillir tous types de mesures objectives de l’environnement – données déclaratives (via des questionnaires), données d’utilisation (occupation de salles de réunion, de postes de travail…), données énergétiques… – et de les analyser pour comprendre le contexte, les usages, les habitudes.
Concrètement, comment cela se traduit au quotidien ?
N.K. : Tout commence par un travail de préparation afin de structurer ma visite sur site. Après avoir récupéré en amont un certain nombre d'informations sur l'entreprise (stratégie immobilière, vision, organisation des équipes...), je cible les espaces à observer et j'identifie une liste de personnes à interviewer. Il peut s’agir de 15 à 30 personnes selon la taille du site. Je vise la plus large amplitude de profils possible - tous niveaux hiérarchiques et fonctions - pour avoir un échantillon représentatif. A l'aide de ces informations, j'élabore des fiches persona.
J.P. : A l’aide des informations fournies par Noël, je vais établir une étude. Si je peux le faire via des données mesurées – par exemple à travers des capteurs d’occupation – c’est idéal. Autre option : réaliser des enquêtes auprès des collaborateurs.
Je cherche à comprendre les usages, à capter les besoins du terrain, à identifier les problèmes à résoudre.
Noel Kerjean, directeur UX & design
Vos deux approches sont donc complémentaires…
N.K. : Absolument. C’est d’ailleurs en croisant nos informations que l’on est capable d’avoir une vision très claire des choses.
J.P : Lorsqu’on confronte le déclaratif au comportemental, on remarque souvent des contradictions entre ce qui est dit et ce qui est fait.
Pouvez-vous donner un exemple d’une telle contradiction ?
J.P : Je pense par exemple à l’utilisation des salles de réunion. Quand on interroge les collaborateurs, ils nous disent souvent qu’il est impossible de trouver une salle de réunion. Pourtant, quand on va regarder les taux d’occupation réels, on est dans une plage plutôt correcte. Comment expliquer cette disparité ? Récemment, la question s’est posée chez un client. On s’est aperçus que ce qui manquait ce n’était pas tant une salle de réunion qu’une salle adaptée à ce que les collaborateurs voulaient y faire.
N.K. : L’exemple de la salle de réunion est un grand classique. À chaque fois, cela met l'accent sur le dimensionnement des espaces qui n'est pas du tout adapté aux vrais usages quotidiens des équipes sur le site. D’où le bien fondé de notre démarche, qui part de la compréhension des travailleurs sur le site et de leurs besoins pour concevoir des espaces adaptés, et non l’inverse.
On est capables de dire à nos clients où porter le regard en priorité.
Justin Parchantour, Data analyst
Une fois les informations agrégées, organisées et recoupées, vous identifiez les pistes de réflexion majeures, créez les persona… Comment travaillez-vous ensuite pour définir les opportunités de solutions avec le client ?
N.K. : Au travers d’ateliers de co-création. Ils sont clés pour embarquer les employés dans l’histoire. En prenant une part active à cette expérience d’intelligence collective, ils deviendront plus tard les meilleurs ambassadeurs des solutions amenées.
La question du télétravail doit aujourd’hui être centrale…
N.K. : Effectivement. Sans stratégie pour lisser la fréquentation sur une semaine donnée, on se rend compte que les bureaux sont vides le vendredi, et en occupation moyenne le lundi, alors qu’ils sont bondés les mardi, mercredi et jeudi… Entre la théorie et la réalité, il peut y avoir un monde.
J.P : Avec le télétravail, il faut une réflexion particulière. L’analyse quantitative peut aider à savoir quels membres d’une équipe sont présents en même temps sur site et combien de fois elles se croisent. On peut accompagner les entreprises à mettre en place de nouvelles règles de télétravail, les aider à prioriser les actions à mener…
Vous hiérarchisez vos réponses ?
N.K. : Oui, on va toujours chercher à commencer par des choses simples à mettre en place.
J.P : On est capables de dire à nos clients où porter le regard en priorité. On s’est par exemple rendu compte que le principal irritant au management en mode hybride, c’était la technologie. On suggérera donc à nos clients de commencer par là pour voir des résultats rapides.